témoignage

Andréa & Emmanuel

Andréa et Emmanuel, merci de nous confier votre histoire.  Qui êtes-vous et qu’en est-il de votre désir et projet d’enfant ?

Andréa – Nous sommes un couple franco-brésilien, vivant en France. Après 3 ans de relation, il y a 5 ans, nous avons eu une première grossesse, un peu inattendue en même temps que bienvenue. Malheureusement à 4 mois de grossesse, nous avons vécu une IMG en urgence et avons perdu notre fille Clara.

Emmanuel – Cela a confirmé notre désir de devenir parents ensemble. Nous avons pris 9 mois de repos avant de nous lancer résolument et consciemment dans notre projet d’enfant.

Andréa – S’en sont suivies des années d’attente et d’espoir, alternant PMA, pauses et grossesses spontanées qui se sont soldées par de nouvelles pertes plus ou moins précoces. Sur un plan médical, plusieurs diagnostics liés à l’AMH d’une part et des mutations génétiques favorisant les interruptions de grossesse d’autre part, nous ont amenés à sérieusement envisager le don d’ovocytes et l’adoption.

Nous étions sur le point de nous lancer dans une tentative avec don d’ovocytes quand une nouvelle grossesse, spontanée, s’est avérée évolutive et a donné vie à Gabrielle !

Qu’est-ce qui vous a motivés à engager un accompagnement périconceptionnel ?

Andréa – Après une première FIV et un transfert infructueux, j’étais motivée à chercher de l’aide. Je suis danse-thérapeute et je n’hésite pas à chercher des éclairages quand quelque chose semble bloqué dans ma vie. Je sentais souhaitable d’avoir une vision plus élargie de cette envie de grossesse et de questionner :

Avais-je des peurs inconscientes ? Quels nœuds du passé étaient à résoudre ?

La répétition de pertes m’a fait sentir qu’il y avait quelque chose d’autre, comme si ça venait de là du passé et vous m’avez aidée à voir qu’il y avait des choses de ce côté-là.

Emmanuel – Andréa questionnait son passé personnel et familial. Moi j’abordais les choses en m’interrogeant :

Quel est le sens de ce chemin de croix ?

et surtout en me demandant : Qu’est-ce qui pourrait faire venir ce bébé ? Quoi entreprendre concrètement ? Un appartement ? un mariage ? … En même temps je cultivais ma foi en la vie : j’ai toujours eu comme une étoile qui veille sur moi et j’avais confiance dans le fait qu’une grossesse surviendrait. Cela m’a aidé à patienter. Je ne me serais jamais lancé seul en thérapie, mais rétrospectivement, je mesure combien  elle nous a permis d’avancer ensemble, de reconnaître nos complémentarités dans notre façon d’aborder la situation, et de mettre la lumière sur les côtés sombres, sur l’histoire de nos familles. Cela a été une enquête passionnante.

Andréa – Nous nous sommes découverts à la fois différents et plus que jamais complémentaires : Emmanuel me tirait vers l’avant, toujours désireux de dessiner une trace pour le futur, quand moi j’avais besoin de regarder derrière, de réparer et mettre de l’ordre dans les traces du passé.

Quelles pratiques vous ont particulièrement permis de revisiter vos sources et mobiliser vos ressources ?

Andréa – Dès la première séance, quand vous avez présenté avec des poupées gigognes les différentes dimensions de ce projet d’enfant, et cela été très éclairant. Je sentais que sur un plan physique, psychologiquement, au niveau du couple, j’avais les ressources. Sur des aspects familiaux et transgénérationnels, il y avait des choses à travailler, mais je ne savais pas accéder seule à « ces endroits-là ». Vous avez pu me conforter dans mon intuition, nommer les choses et m’emmener sur ces sujets que je ne pouvais aborder seule. Ainsi dès le début nous avons pu faire le bilan de ce qui faisait ressource dans notre vie et des pistes à travailler … un peu comme une boussole.

Développer une vision matricielle de la fécondité

est une clé pour s’orienter dans son expérience.

Attendre en vain une grossesse est une expérience à la fois psychocorporelle, émotionnelle et intrapsychique ; elle a des incidences au niveau relationnel, à l’échelle du couple, de la famille, des relations amicales, sociétales, professionnelles ; elle s’inscrit dans une toile de fond transgénérationnelle ; elle pose des questions éthiques et renvoie chacun à ses croyances. Elle peut déstabiliser sur tous ces plans.

En commençant un accompagnement, je propose presque toujours un point sur toutes ces matrices de l’être en jeu dans le désir d’enfanter, dans ce qui le motive, ce qui l’entrave et ce qu’il fait traverser. C’est un peu comme les grandes lignes d’une carte pour mieux comprendre cette terre inconnue qu’est l’expérience de l’infécondité. C’est l’occasion de laisser émerger des éléments de sens et un sentiment de compréhension et de cohérence ; de repérer des pistes d’exploration autour des ressources sur lesquelles s’appuyer ou à renforcer et des empêchements à considérer et lever.

Emmanuel – Au départ, dessiner les sources de notre désir, ce qui a marqué notre enfance et notre vie et nourri notre envie de devenir parents, puis partager nos dessins et nos histoires tous les deux, a été très émouvant. Tout comme créer ensemble un collage autour de comment nous souhaitons nous sentir fécond ? C’était très fort d’avoir choisi des images si proches, d’être sur la même longueur d’ondes, de constater à quel point nous avions envie de la même chose.

Andréa –

Créer ensemble pendant et entre les séances, observer que nous allions dans la même direction pour construire nos vies et notre futur, nous a donné de la force pour continuer.

Le collage que nous avons affiché un temps dans notre appartement nous a portés, tout comme notre foi en la vie. C’est un pilier qui prendre des formes un peu différentes pour nous deux, dans la foi catholique pour Emmanuel, dans une connexion aux esprits pour moi qui suis Brésilienne, mais qui nous a réunis, par exemple dans des actes rituels comme aller à Lourdes.

Expérimenter un processus créatif, co-créatif,

est stimulant au moment où l’on souhaite procréer. Cela devient une expérience de référence pour l’inconscient, une source de joie pour chacun des créateurs, une ressource de confiance partagée pour un couple : « nous savons créer ensemble ! ». C’est aussi une façon de dialoguer avec son inconscient, avec des aspects profonds de son être.

Andréa – Nous avons aussi prolongé notre vision incarnée dans ce collage par une représentation concrète de notre famille future avec des figurines. Nous y avons intégré nos parents, nos fratries, … et cela nous a fait observer avec lucidité la dynamique installée, la place prépondérante de nos parents, comme des rois et reines qui nous maintenaient dans une place d’enfant ou que nous n’oserions pas « dépasser » en devenant adultes et parents à notre tour. Nous avons remis symboliquement chacun à sa place. Cela a fait évoluer notre façon d’être en lien avec nos parents. Et aujourd’hui, cela nous aide beaucoup à solliciter le soutien de nos parents dans leur rôle de grands-parents bienveillants tout en prenant toute notre place de parents et en faisant en sorte qu’elle soit respectée.

Vous portiez tous les deux un intérêt particulier à l’histoire de vos familles. Qu’avez-vous saisi de ce qui dans ce passé familial pouvait faire obstacle à votre parentalité ?

Emmanuel – Depuis adolescence je me suis intéressé à mes grand-parents puis à mes ancêtres. J’ai réalisé mon arbre généalogique en faisant des recherches d’actes d’état civil aux Archives. Avec vous, j’ai fait une expérience complémentaire de découverte de ma famille, avec d’autres mises en forme de l’arbre, avec du ressenti, du sensoriel. J’ai posé un regard nouveau sur ma famille, me suis intéressé au vécu des générations passées, aux transmissions. J’ai pris conscience d’histoires et de schémas douloureux : une arrière-grand-mère «fille-mère », un grand-oncle adopté suite à la mort en couche de sa mère, un oncle mort sans être père … donc une série d’hommes qui n’ont pas pris une place de père. Ces histoires pouvaient donner sens, à ma génération, à des difficultés à prendre une place de père, ou à des tentatives de « réparation » de non-reconnaissance par des démarches d’adoption par exemple. Pour moi, c’est une façon de déchiffrer et « court-circuiter » les maux des ascendants, les « mauvaises ondes », les transmissions bizarres, pour donner le meilleur à mes enfants.

Andréa – De mon côté, je suis l’aînée d’une fratrie de 3 enfants adultes, tous trentenaires à l’époque, et sans enfant pour deux d’entre nous. Seule ma sœur avait adopté en tant que mère célibataires une petite fille, qu’elle élevait avec nos parents. Cela me questionnait sur le « contrat » inconscient qui pesait sur nous. En questionnant ma famille, en réunissant des actes d’état civil, en réalisant mon génogramme, j’ai vu se dessiner les répétitions de prénoms, de dates, de situations de célibat, de morts précoces, notamment d’enfants. J’ai remarqué que dans les lignées paternelles comme maternelles, on en avait rarement parlé. Conscientiser ces pertes m’a permis de les replacer dans le temps. J’ai aussi observé sur plusieurs générations des difficultés pour bien des femmes à être mère sans être filles-mères, demeurant dans les foyer et sous la coupe de leurs parents.

Emmanuel – Pour toi, par contre, cela semblait important de te marier.

Andréa – Oui je doutais de la possibilité d’avoir un enfant sans être mariée. Quelque chose me disait qu’il fallait me marier pour pouvoir enfanter. Je me souviens de mon grand-père disant  « je veux te voir te marier », comme un contrat passé avec les ancêtres.

Emmanuel – … et nous nous sommes mariés ! Je pensais que cela nous ferait avancer et détournerait un peu notre attention de notre obsession pour ce projet bébé …

Andréa – et je n’ai pas été étonnée d’être à nouveau enceinte le mois suivant notre mariage … même si cette grossesse ne s’est pas poursuivie.

Une clé a été pour moi le lien entre filles célibataires ou mariées et migration. En effet, mes ancêtres ont quitté l’Europe du Sud, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, pour une nouvelle terre alors pleine de promesses : le Brésil. Mon arrière-arrière-grand-mère dans la lignée des utérus notamment, Cristina, dont je porte le prénom en second prénom, a quitté l’Italie pour le Brésil où elle est devenue mère. Lors d’une exploration des transmissions entre les femmes sur 5 générations et à travers 5 pays différents, en me mettant dans les pas de Cristina, j’ai réalisé à quel point cela avait dû être un déchirement de se séparer de sa propre mère, de sa famille, de sa terre, sans beaucoup d’espoir d’y revenir, puis de mettre au monde des enfants sur une terre nouvelle, sans l’appui de sa famille. Cette nécessité d’aller de l’avant, vers une nouvelle vie, en laissant l’ancien et les siens derrière soi, a dû générer une bonne dose de culpabilité. Cela semble avoir aussi induit par réaction un réflexe de maintenir les filles avec leurs propres enfants dans le giron de leurs mères.

Avec beaucoup d’émotions, j’ai honoré cette migration de Cristina, ses effets sur notre famille, et me suis autorisée à être mère à mon tour, loin de ma mère et de ma terre natale, mais sur la terre de mes ancêtres.

En effet, j’ai fait le chemin inverse de Cristina, puisque moi, je suis venue faire ma vie d’étudiante, de professionnelle, de femme, en Europe. Aujourd’hui, les choses sont différentes : nous communiquons et circulons aisément d’un continent à l’autre. Dans ce retour aux origines, j’ai la sensation de réparer, de soigner les blessures. Et notre fille Gabrielle, en portant une double nationalité, incarne pleinement les liens entre l’Europe et l’Amérique, elle n’est nulle part étrangère.

Devenir mère en terre étrangère

Migrer, quitter sa terre, les siens, les vivants comme les morts, pour embrasser une nouvelle vie, plus prometteuse pour soi et pour sa descendance est une acte qui n’est pas dénué d’effets sur un plan transgénérationnel. Les descendants héritent souvent des effets de la culpabilité et de stratégies de survies spécifiques. Ce peut-être par exemple une difficulté à trouver une juste distance entre générations, entre parents et enfants, soit dans une répétition de la séparation, soit dans un fusion excessive.

Emmanuel – Inscrire notre fille, son prénom, ses noms et sa double nationalité sur un site de généalogie, m’a rendu très fier. J’ai l’impression par la naissance de Gabrielle, fruit de mon alliance avec Andréa, de renouveler le sang de ma famille, régionalement très ancrée dans le sud-ouest de la France, et de lui donner ainsi un nouveau souffle.

Un moment plus fort encore a été d’aller signer l’acte de naissance de notre fille à la mairie.

J’ai réalisé que je m’inscrivais dans les pas de mes parents, grands-parents, … de mes ancêtres, qui ont fait cette même signature en tant que déclarant, venant reconnaître leurs enfants. 

Et penser que nos petits-enfants, arrière-petits enfants, et autres descendants pourront consulter un jour ces documents, voir ma signature, et faire cet acte de reconnaissance à leur tour est très émouvant.

Toute ma jeunesse j’ai voulu marquer mon temps. Je l’ai fait par certaines réalisations avec ma caméra, dans ma vie professionnelle, avec l’idée qu’un jour peut-être mes enfants les verraient. Avec ma fille, je laisse enfin une trace ultime et j’abreuve l’arbre à mon tour. Devenir père est un accomplissement. Cela donne plus de sens encore à ma vie.

Avant la grossesse de Gabrielle, vous avez sérieusement envisagé le recours à un don d’ovocyte. Comment l’avez-vous vécu ?

Andréa – Dans la mesure où je suis tombée enceinte naturellement à plusieurs reprises, les médecins étaient tentés de me proposer de simples stimulations ou des FIV. Mais cela m’était difficile de prendre des hormones. Et je sentais que ce n’étais pas par cette voie que nous serions parents. Le temps passant nous sentions toutefois l’urgence d’agir. Ensuite, mon âge, 40 ans, la mesure de mon AMH, puis la découverte de mutations génétiques spermatiques favorisant les interruptions de grossesse ont changé la donne. Le don d’ovocyte nous a été présenté comme une option à considérer. Nous avons chacun un frère ou une sœur ayant adopté un enfant ; c’était aussi une option. Il nous semblait important de réfléchir à toutes les possibilités et savoir si elles pouvaient être pour nous, si cela faisait sens et était éthiquement acceptable.

Emmanuel  – Après avoir honoré par la création et un rituel ces quatre années de tentatives, nous avons dessiné et constellé avec de figurines les différentes options avec tiers, le don et l’adoption, puis exploré chacune d’entre elle dans une constellation en nous mettant à notre place ainsi qu’à celle de l’enfant et de nos familles. Nous avons écouté les questions et émotions suscitées par chacun des chemins possibles.

Andréa – Un arbre des transmissions nous a aussi donné l’occasion de voir comment une éventuelle conception avec don d’ovocytes venait s’intégrer dans un tissage familial, une dynamique d’intégration de l’inconnu et de l’étranger en soi. Cela nous a montré aussi comment une conception est le fruit d’un éventail de transmissions. Cela est présent aujourd’hui dans le regard que nous posons sur nos familles, passées et actuelles.

Envisager concevoir avec un don a apporté quelque chose à notre façon de penser le monde et de parler le monde à Gabrielle : il existe de multiples façons d’enfanter et ce ne sont pas les parents seuls qui font l’enfant !

Ce sont aussi les structures familiales, amicales, sociales, … Aujourd’hui je sais que nos familles, la PMI, la crèche, … sont des piliers qui me soutiennent et que solliciter de l’aide fait de moi une meilleure mère !  

Comment diriez-vous aujourd’hui que vous avez enfanté, à votre façon ? Et quel est votre message pour ceux qui vous lisent ?

Emmanuel – C’est ma fille, à sa naissance, qui a fait de moi un père. Elle pleurait contre moi et je lui ai fredonné une chanson que nous lui chantions en portugais pendant la grossesse ; elle a planté ses yeux dans mes yeux puis s’est arrêtée de pleurer; ça y est j’étais devenu papa ! Il y a une familiarité qui s’impose, une impression de se connaître déjà. Et puis je me reconnais père dans le regard des autres. Quand mes beaux-parents parlent de moi à ma fille, je réalise que : « Ah oui ! Papa, c’est moi ! » Pour moi, ce qui nous a porté jusqu’à elle c’est de garder l’espoir et y croire ! Et d’être dans la vie, d’avoir des projets, projet de mariage, de voyages, de déménagement, … Quand nous avons conçu Gabrielle j’étais en pleine effervescence, dans l’action, pour aménager notre nouvelle maison et ses 3 chambres.

Andréa – Avant la grossesse de Gabrielle, moi j’ai eu une phase de grand vide … qui a peut-être participé à sa venue. Je voulais, rationnellement, aller vers le don, mais intérieurement, je n’avais même plus de motivation. C’était comme une sorte de fissure intérieure : pas de force, pas d’envie, j’ai lâché toute tentative de contrôle de la situation, tout arrêté, y compris les thérapies, comme si c’était la mort du désir, et de l’espoir. J’étais dans l’idée que peut-être ça n’arriverait jamais. Je me disais : « j’ai tout fait, il n’y a plus rien à faire, juste être … ». Et c’est quelques semaines après que j’ai découvert que j’étais enceinte.

Je suis très heureuse que Gabrielle ait accepté de venir cheminer avec nous sur terre. Et je remercie ces êtres qui n’ont fait que passer et nous ont montré des choses, nous ont fait grandir et permis d’accueillir Gabrielle avec plus de réflexion et de conscience. Chacune de ces pertes a été dure à vivre mais nous les avons inscrites dans notre histoire et je pense important de prendre chaque échec comme une opportunité d’apprentissage.

Merci Andréa et Emmanuel de témoigner de la force de la complémentarité du couple sur ce chemin de fécondité, de montrer comment allier la réceptivité, sur un mode féminin, à l’activité sur un mode masculin, semble parfois une clé pour la conception. La venue au monde de Gabrielle est empreinte de votre capacité à rester ouverts à toutes les possibilités en écoutant votre intuition et à faire de chaque expérience une source de croissance. Une belle ressource pour le futur de votre famille !