témoignage

Laetitia

Laetitia, merci de nous confier votre histoire. Qui êtes-vous et qu’en est-il de votre désir et projet d’enfant ?

Je voulais un enfant depuis longtemps. A la fin de la trentaine j’avais préservé ma fertilité, à l’étranger. Je pensais que cela me donnerait  2 à 3 années de plus pour rencontrer un homme qui partage mon désir d’enfant. J’avais de la difficulté à concevoir la maternité autrement qu’au sein d’un couple. Et puis j’ai eu 44 ans, j’étais sans compagnon, j’amorçais un deuil de la maternité quand des amies m’ont fait réaliser que si je voulais un enfant, c’était maintenant !

Qu’est-ce qui vous a motivée à engager un accompagnement périconceptionnel ?

Avant de me lancer, je souhaitais m’assurer que mon désir d’enfant était toujours là et bien là. Si je confirmais mon projet, il me faudrait faire évoluer mon idéal d’un couple pour faire famille et faire le pas de faire appel à un donneur. Et je souhaitais me poser les bonnes questions, préparer celles à venir d’un enfant … et les miennes en le regardant.  Je m’attendais à remplir un questionnaire à choix multiple pour évaluer mon désir et cela ne s’est pas du tout passé comme ça.

Quelles pratiques vous ont particulièrement permis de revisiter vos sources et mobiliser vos ressources ?

Je suis revenue sur mon parcours de femme en réalisant une frise de mes relations amoureuses. Cela a été l’occasion de saisir qu’aux moments où la maternité aurait été possible, moi je n’étais pas prête : au cours de la vingtaine, j’avais un compagnon qui faisait déjà comme partie de ma famille et se projetait père avec moi ; moi je me sentais dans l’incapacité de répondre favorablement à son invitation et je n’ai pas su alors répondre à son appel à fonder une famille. Ai-je ainsi cherché à respecter le « droit d’aînesse » et rester à ma place de « petite dernière » alors que mes sœurs n’étaient ni mariées ni mères ? Ai-je eu peur de faire de ma mère une grand-mère « trop jeune »? Avais-je d’autres choses à vivre avant ? Etais-je fidèle à d’autres injonctions familiales ? . . . En tous cas, ces agendas intérieurs non synchrones nous ont conduits à une rupture douloureuse en plusieurs étapes.

Ensuite, dans la trentaine, seule une histoire d’amour pouvait à mes yeux être à l’origine d’un enfant et je conditionnais l’engagement dans une maternité à une réciprocité des sentiments et une qualité relationnelle … et cela ne s’est pas présenté. En reprenant conscience de tout ce parcours, de mes nécessités intimes, j’ai enfin pu accepter mon histoire.

Vous évoquez le lien possible entre l’accès à votre projet d’enfant, votre vie amoureuse et la dynamique de votre famille, qu’avez-vous saisi de ce qui a pu se jouer pour vous ?

J’ai saisi qu’en accédant tardivement à la conscience de mon désir de maternité, je m’étais donné le temps de certains épanouissements personnels et professionnels, chose qui a été plus difficile pour ma mère, devenue mère jeune, trop à ses yeux, de 3 filles. En même temps c’était d’une certaine manière marcher dans les pas de ma grand-mère maternelle, qui s’est mariée tard, est devenue mère à 38 ans et n’a eu qu’un enfant. D’un autre côté, ma grand-mère paternelle, mère jeune, s’est peu occupé de ses 2 enfants, qui ont pu se sentir abandonnés, d’autant plus en l’absence de leurs pères. Mes deux parents ont été orphelins de père à 10 ans et globalement la figure paternelle dominante dans mon arbre est celle d’un père absent. Les femmes se montrent fortes et font matrice coûte que coûte.

Explorer mon histoire familiale, celle de mes parents et grands-parents, faire quelques recherches généalogiques et échanger avec des proches, explorer l’histoire de mes grand-mères, m’a montré ce qui dans ce passé pouvait faire lien avec mon histoire de femme et ce projet de conception, la quarantaine passée, d’un enfant avec l’aide d’un donneur.


Concevoir un enfant en tant que femme célibataire est rarement un choix délibéré.

Dans l’expérience de celles que je reçois c’est en général un choix perçu comme contraint par le fait de ne pas avoir fait les bonnes rencontres au bon moment, d’avoir connu des hommes indisponibles ou n’ayant pas le désir d’être père ou père à nouveau. Faire la paix avec ce cheminement personnel est important et le mettre en perspective avec l’histoire familiale est souvent aidantIl arrive qu’un y regardant de plus près cette situation semble relever, par loyauté, soit de la répétition, soit de la réparation de situations familiales anciennes vécues douloureusement : il peut par exemple s’agir de réhabiliter la mémoire d’une « fille-mère » telle que la société les appelait et les jugeait à l’époque et d’être une mère célibataire assumée ; il peut aussi être question de maintenir à distance de l’équation familiale des hommes perçus  comme menaçants pour les mères et/ou les enfants. Eclairer ce qui se rejoue du passé et les marges de manœuvre pour écrire un futur différent participe à vivre en conscience les choix, les situations, les transformations. C’est ainsi que la représentation des modalités de conception peut par étape évoluer, que le sens d’un engagement dans une maternité solo peut émerger.

L’exploration de votre parcours personnel et de l’histoire familiale semble avoir permis des prises de conscience quant à la forme et à l’agenda de votre projet de maternité. Comment l’avez-vous ensuite concrétisé ?

Je m’interrogeais sur les conditions d’un don – celui d’un homme connu ou non, anonyme ou pas. Curieusement, c’est à ce moment-là que cet homme profondément aimé dans ma vingtaine, marié, devenu père et séparé depuis, est revenu dans ma vie.

J’ai eu envie d’explorer la possibilité de lui proposer d’achever de prolonger notre histoire, cette forme d’ « inachevé » entre nous. J’imaginais une vie conjugale et une paternité nouvelle pour lui, à moins qu’il ne préfère une forme de co-parentalité ou un don de sperme pour un enfant de nous deux, que j’élèverais seule. Au cours des consultations, je suis revenue sur les schémas relationnels de notre couple, sur ce qui nous aimantais en même temps que sur les ombres à cette relation, nos peurs d’être rejetés, … pour comprendre mes hésitations et les siennes suite à ma proposition. Et puis nos agendas intimes, ses doutes et mon urgence, n’ont une fois encore pas collé.

J’ai fait bouger ma représentation d’un enfant comme fruit de l’amour d’un couple et cela m’a permis de faire les pas pour faire appel à un donneur. J’ai décidé de recourir à un don de sperme anonyme, ne souhaitant pas avoir à préciser des critères de sélection ni en savoir trop sur le donneur.

Je me demandais ce qui pouvait pousser un donneur à donner ?  Je l’imaginais juste comme un homme généreux, que j’aime entendre « gènes-heureux ». Je me disais que nous contribuions juste à un processus naturel, moi en portant la vie, lui en donnant son patrimoine génétique pour que se perpétue la vie.

 

Choisir des modalités de don et un donneur 

est une étape plus complexe qu’il n’y paraît. Si le discours médiatique et médical évoque largement les possibilités de recourir à des banques de sperme publiques ou privées, avec des dons anonymes ou non anonymes, les femmes témoignent souvent des multiples autres options qu’elles incluent dans leur réflexion. Outre l’espoir de faire une belle rencontre, elles passent souvent en revue les hommes qui ont compté pour elles : un ancien compagnon, un amoureux éconduit, un amant perdu de vu, un bon ami célibataire, … et elles imaginent différents scénarii comme solliciter un don amical avec ou sans engagement à rencontrer l’enfant, proposer une co-parentalité, ou encore retrouver le chemin d’une vie conjugale. Certaines, beaucoup plus rarement, évoquent la possibilité d’une rencontre d’un soir, quand d’autres tenant à intégrer un père dans l’équation, étudient la possibilité d’une co-parentalité via un site de rencontre dédié. Le recours à un don anonyme via une banque de sperme se révèle être in fine un choix fréquent, après l’ exploration de ces multiples possibilités.

Une fois confirmées les conditions du don de sperme, comment vous êtes-vous préparée à cette grossesse ?

Une fois prise la décision, je me suis préparée à faire de la place pour une grossesse et un enfant. Déjà, il s’agissait de me projeter, de faire mon nid : dans mon lieu de vie, où il a fallu trier les cartons pleins des héritages matériels reçus de ma mère suite à son décès, se séparer, transformer, pour remettre de la vie. Ensuite, avec les collages autour de mon désir d’enfant et la réalisation avec des figurines d’une « crèche » familiale autour de l’enfant, je me suis projetée dans cette maternité et dans la grossesse. J’ai visionné par exemple L’odyssée de la vie , le film documentaire de Niels Tavernier sur les neuf mois de la grossesse, de la conception jusqu’à la venue au monde d’un enfant. Une série de propositions créatives comme le dessin de mon espace ressource ou l’idée de créer mon parfum de ressource m’ont permis de cultiver toujours plus de calme, joie et réceptivité. A travers cette préparation mentale et émotionnelle je suis restée focalisée avant le transfert, en mettant toute mon énergie au bon endroit, en me faisant du bien. Cela a inclut une préparation relationnelle : m’entourer de personnes bénéfiques, choisir qui mettre ou non dans la confidence, à qui préciser mon besoin d’intimité pour me centrer sur cette possible nouvelle vie.

Ensuite concrètement, mon endomètre a été hormonalement préparé pendant que mes ovocytes cryoconservés quelques années auparavant étaient « réchauffés » pour créer des embryons. J’ai suivi pas à pas la maturation, la sélection naturelle des ovocytes non fécondables, des embryons non évolutifs, des blastocystes identifiés comme génétiquement non viables. Après neuf mois de préconception, le transfert du premier embryon a été fructueux. J’étais enceinte. 8 mois plus tard, Jules est né !

Ma famille étant géographiquement loin de moi, j’ai particulièrement apprécié d’avoir sur toute cette période le soutien d’une Doula, pendant la grossesse, à l’accouchement et pour la mise en route de l’allaitement.

Préparer émotionnellement, mentalement, relationnellement une conception

est important pour l’aborder aussi en conscience et en confiance que possible. C’est particulièrement vrai quand les conditions de conception ne sont pas celles qui étaient idéalisées et imaginées initialement, pour les femmes célibataires, pour toute les personnes ayant recours à l’Aide Médicale à la Procréation et a fortiori pour celles faisant appel à des tiers donneurs. Les aspects médicaux et logistiques sont le plus souvent anticipés et discutés. L’identification des état émotionnels espérés et des conditions et pratiques pour les développer est plus aléatoire. La réflexion sur les personnes à solliciter et celles à éviter, sur le besoins à nommer et demandes à formuler est plus rare. L’accompagnement offre un espace de contenance et de ressources face à la complexité des questions, des décisions et étapes concrètes qui se présentent.

Une fois la grossesse en route, les femmes apprécient de rejoindre des praticiens spécialistes qui les accompagnent vers la naissance et l’accueil de leur bébé. Les sages-femmes notamment offriront un suivi médical, qui, pour certaines, trouve son complément avec le suivi d’une Doula dans une présence et une transmission de femme à femme, sur les aspects pratiques, l’expérience physique, émotionnelle, relationnelle que sont la grossesse, la naissance, le post-partum et plus largement la parentalité.

Quand vous vous retournez sur votre chemin, que vous dites-vous de votre façon d’enfanter ?

Après avoir espéré, attendu, quasi-renoncé avant de me réengager dans une maternité, quand je regarde Jules, « je me pince », je me demande si c’est bien vrai … Je suis devenue Maman, c’est bien mon petit garçon, c’est une énorme chance d’avoir pu le mettre au monde !

J’ai de la gratitude pour le tiers donneur, quelqu’un de généreux, à la démarche volontaire, que je ne connais pas et qui est quand même régulièrement présent dans mes pensées au quotidien. Quand je regarde Jules, tantôt il me ressemble beaucoup, tantôt je vois cette transmission physique inconnue. Jules babille et dit Pa-Pa, je lui parle des papas qui nous entourent. Je lui ai déjà raconté son histoire depuis sa naissance. Plus il grandit, moins cela me semble facile. Il me faudra certainement en reparler.

Ouvrir l’espace de la mise en récit

est une des missions de l’accompagnement en phase préconceptionnelle : cela facilite la représentation que se font les parents de l’histoire qu’ils écrivent et de ce qu’ils vont en dire à leurs enfants, et à leur entourage. Les parents témoignent du fait que raconter l’histoire de conception pendant la grossesse, à la naissance, dans les premiers mois se révèle assez facile quand cela a été préparé. Ils disent aussi comment, à mesure que l’enfant grandit, qu’il a tellement pris sa place, que le tissage des liens est une évidence, qu’ils réalisent que l’enfant comprend tout en même temps qu’il ne pose aucune question encore, il devient parfois étrange, dans ce passage des 12-24 mois de l’enfant, de vouloir parler de cette histoire de conception, de trouver les mots. Et que la tentation est grande de ne plus rien dire. S’il n’est pas besoin de parler cette histoire très souvent, les parents sentent qu’à ne rien dire, ils en perdent les mots, leur conviction de l’importance de dire, le fil du récit . . . comme si l’espace de parole pouvait se refermer. L’espace de consultation périconceptionnel demeure ouvert, lui , pour à tout moment, réactualiser ses représentations et sa parole autour de cette histoire.

Avec Jules nous formons tous les deux une famille monoparentale dont je suis fière. Être parent d’un jeune enfant est exigeant et plus encore si l’on est le seul parent : cela demande d’être bien épaulée, de se simplifier la vie et d’accepter d’avoir peu de temps pour soi. Vu mon âge, Jules n’aura pas de petite sœur ou de petit frère. Pour avoir une fratrie, il aurait fallu faire un bébé le plus tôt possible, penser à concevoir de cette façon dès la préservation ovocytaire mais ce n’était pas mon chemin. Je pense aussi à rencontrer un homme dans ma vie de femme, un homme qui pourrait aussi souhaiter être un papa de cœur pour Jules.

Je suis chanceuse d’être Maman et cet accompagnement périconceptionnel m’a aidée. Et je sais que si l’issue de mon parcours avait été différente, s’il m’avait fallu poursuivre le deuil de maternité que j’avais commencé, cela m’aurait aussi aidée. Cela a désamorcé plein de choses et m’a fait avancer dans ma vie. Aborder, à l’occasion d’un projet d’enfant, de nombreux aspects de son histoire personnelle et familiale, faire un état des lieux, mettre à plat ses désirs permet d’aller plus loin dans sa réflexion sur soi-même … une réflexion que peu de parents sont amenés à faire !

Merci Laetitia de parler, par votre témoignage, des femmes nombreuses qui s’orientent vers une maternité dite « Maternité Solo par circonstances de la vie » et de montrer à quel point ce choix est mûri, cette maternité préparée, l’enfant considéré. Ces familles plus que toutes autres savent combien mobiliser des matrices de soutien est essentiel pour élever les petits d’Homme et qu’« il faut tout un village pour concevoir comme élever un enfant ».