témoignage

Pascale

 

 

Pascale, merci de nous confier votre histoire. Qui êtes-vous et qu’en est-il de votre désir et projet d’enfant ?

Avec mon mari nous portons un projet d’enfant depuis 19 ans. Dans les premières années nous avons eu un parcours de PMA, très dur, semé d’embûches, qui m’a menée à une dépression il y a 11 ans. Nous avons décidé de ne pas poursuivre, au moins de faire une pause dans les démarches médicales, en espérant toujours avoir un enfant naturellement. Nous ne nous sentions prêts ni pour un don de sperme ni pour une adoption : nous tenions à avoir une place égale dans la  conception.

S’en sont suivies 10 années de fuite dans le travail et une forme d’endormissement du projet tout en ayant toujours l’espoir infime d’une grossesse naturelle, miraculeusement.

Quand nous nous sommes réveillés et avons resollicité les services de PMA, les portes se sont fermées en France. Nous ne rentrions plus dans leurs critères. Cela aurait supposé des démarches à l’étranger qui nous semblaient compliquées, trop lourdes.

Comment comprenez-vous les empêchements à votre maternité ?

Avec le recul, je réalise que la maternité et la paternité nous faisaient peur.

Pour ma part, je craignais d’être une mauvaise mère. J’avais la peur inconsciente pendant longtemps de « transmettre l’inceste », d’avoir une fille qui subisse l’inceste et souffre comme j’ai souffert, ou d’avoir un fils qui devienne prédateur sexuel. J’avais peur que se répète une situation au caractère incontrôlable et de me sentir impuissante. Je redoutais d’être, comme mes parents, dans l’incapacité de gérer une telle situation d’inceste fraternel.

J’ai réalisé depuis combien l’ignorance, le manque d’éducation sexuelle et affective, les tabous de l’inceste et de la sexualité ont rongé ma famille.

Toutes les personnes en parcours de PMA ayant subi des violences sexuelles devraient avoir l’occasion de travailler cette question le plus vite possible.

D’autant plus que la FIV peut être vécue, comme me l’avait dit une psy à l’époque, comme une sorte de « forçage du corps » pour qui a vécu  ce type de traumatisme. Si c’était à refaire, j’engagerais un parcours psy autour des agressions sexuelles avant toute PMA.

Aujourd’hui à 45 ans, j’ai un sentiment de temps perdu, de gâchis. Si j’avais une baguette magique, je remonterais le temps pour revivre ce que j’ai à vivre en sachant tout ce que je sais.

Les violences sexuelles

ont des effets délétères bien connus sur le rapport à soi et le rapport au corps, le rapport à l’autre et à la sexualité. Toutes ces dimensions peuvent être en souffrance et participer d’empêchements à la conception d’un enfant. Ce qui est à peine dicible, le tabou des tabous, c’est que ces violences sexuelles ont pu fantasmatiquement ou réellement engendrer des grossesses. Et que la PMA peut pour certaines personnes rejouer quelque chose de cette violence. Mettre à jour son histoire pour faire place à de nouveaux possibles et place à un enfant réel est alors essentiel.

Qu’avez-vous fait pour surmonter les effets de ces violences sexuelles subies ?

D’abord je me suis investie dans le monde associatif autour de la question des violences sexuelles. Et je sens que j’ai aujourd’hui toutes les armes qui me manquaient sur le plan de l’éducation sexuelle et affective et cela change la donne pour me projeter dans une maternité. Les cercles de femmes et ateliers créatifs ont aussi participé à renouer avec une forme de confiance en moi et dans le féminin. Et j’ai eu besoin d’y voir plus clair dans ma quête d’être maman et de continuer à avancer sur le chemin de la reconstruction et de la guérison de la femme blessée que j’étais. C’est ainsi que j’ai commencé un accompagnement périconceptionnel. Je souhaitais être confortée dans le fait que « oui je pourrais être une bonne mère », vérifier que j’étais prête, lever les éventuels derniers blocages et être rassurée.

Au cours de l’accompagnement périconceptionnel, quelles pratiques vous ont particulièrement soutenue pour revisiter vos sources et mobiliser vos ressources ?

J’ai particulièrement apprécié le travail sur les lignées. Ces lignées, je me demandais bien comment j’allais pouvoir leur donner une suite, les prolonger.

Réaliser moi-même des recherches généalogiques, trouver des actes d’état civil – naissance, mariage, décès – a nourri une véritable enquête sur l’histoire familiale, émouvante et d’une grande richesse. Mettre en forme cette information avec les génogrammes m’a permis de prendre conscience de schémas répétitifs : le poids d’hommes dominants, tout-puissants, infidèles et la soumission des femmes, y compris sexuellement, … un lourd passé qui pesait sur ma place, inconfortable et sur des loyautés à tant de femmes peu épanouies.

Mettre la lumière sur l’arbre a aussi fait émerger les ressources cachées des grand-mères que je ne soupçonnais pas et mes ressources propres, ma capacité à exprimer tout haut ce que d’autres n’ont pas pu dire, qui était tenu secret.

Un cambriolage de ma maison m’a poussée à porter plainte pour l’intrusion et les vols. La présence d’hommes de Loi, respectueux, m’a encouragée à porter aussi plainte pour les abus anciens, les violences sexuelles subies. Demander de l’aide et le rappel de la Loi m’a permis de me mettre sous la protection de la loi commune et de la Justice, là où la loi familiale avait été injuste et de réintégrer mon propre pouvoir de poser mes limites.

J’ai alors senti possible de donner une suite différente à cette histoire familiale et accueillir un enfant dans ses lignées paternelles et maternelles de façon sereine. Quel soulagement !

Par les activités créatives variées et en apparence ludiques proposées dans les séances que j’ai faites à distance, je me suis découvert une capacité nouvelle à faire des connexions symboliques dont la portée m’a bluffée. Raconter ou mettre en lumière et en conscience mon vécu d’une situation avec des cartes ou avec des objets choisis dans mon environnement immédiat a été une expérience inattendue qui a participé à me donner confiance dans mes ressentis, mon intuition et ma vision. Réaliser des collectes d’images et des collages, me donner à voir mes besoins et envies, mes ressources par ce biais, a participé à moins me juger et sentir plus de confiance et d’estime de moi.

Je me suis dit : je suis capable, je peux créer de belles choses.

J’ai commencé à m’écouter plus, à être une bonne mère pour moi-même, notamment en modifiant ma façon de m’investir professionnellement, en passant en télétravail, en temps partiel à 80%, en ayant plus de temps pour moi et en nourrissant un nouveau projet professionnel plus personnel.

L’éveil de la « bonne mère »

dans ses dimensions contenantes, nourricières et créatives compte souvent parmi les effets ressentis d’un accompagnement périconceptionnel. En effet, les pratiques créatives et ludiques proposées réveillent souvent l’enfant intérieur, libre et créatif et des ressources inconscientes insoupçonnées. La douceur et la contenance offertes servent de miroir aux capacités intérieures à prendre soin de soi, et d’un enfant.

Comment diriez-vous aujourd’hui que vous avez enfanté, à votre façon ?

J’ai la sensation aujourd’hui de vivre une renaissance, d’être à l’écoute de la femme que je suis, de la révéler. Je suis une femme plus épanouie et respectueuse de mes besoins et c’est un vrai cadeau.

Bien sûr, à l’approche de chaque anniversaire, de moments comme la fête des mères, je réalise que la maternité n’est pas matérialisée par une grossesse et la venue d’un enfant. Cela réveille une forme de vide intérieur, de déception, un voile de tristesse, … que j’accueille sans l’anesthésier. Je me demande parfois : est-ce que j’ose encore y croire ? n’est-ce pas se faire du mal ? ai-je intérêt à accepter la situation et ne plus espérer, pour ne plus être déçue ? Tout en étant consciente de notre réalité, je conserve l’espoir d’un miracle.

D’autres formes d’enfantement se sont concrétisées. Je m’investis pour protéger les enfants de ce que j’ai subi. Je participe à des sensibilisations dans les collèges, des témoignages, comme dans une émission radio. Jamais je n’aurais imaginé il y a 30 ans réparer ainsi la collégienne en grande souffrance que j’étais. C’est une façon d’être mère protectrice des enfants du monde.

Je viens aussi de créer une micro-entreprise pour accompagner les personnes en chemin pour un retour à la Vie. Je leur offre notamment ce qui est né de mon cheminement et a fait ressource pour moi : une pratique alliant marche et photographie.

Je me sens vraiment vivante et plus survivante, en sécurité à l’intérieur de moi, sur mon chemin, sur ma voie.

C’est un épanouissement plus que positif et ce sont des enfantements singuliers dont je suis fière.

Merci Pascale de nous dire combien le désir d’enfant est aussi souvent une nécessité de prendre soin de l’enfant en soi, d’enfanter de soi, un souhait de contribuer au monde et d’être une « grande mère » pour le monde.